Depuis plusieurs semaines les ports asiatiques sont saturés alors que les industries locales qui tournent à plein régime ont ,de ce fait ,du mal à exporter leurs produits. Les clients patientent mais jusqu’à quand ?  Certains parlent déjà d’abandonner les produits commandés. Pas de place sur les navires , des taux de fret en continuelle augmentation . Certaines destinations au départ de l’Asie voient leur coût de transport multiplié par quatre voire plus….Sur ce fond de crise le PDG de CMA-CGM  s’exprime dans le journal  du Monde .

Le Monde.fr : La reprise du commerce mondial entraîne une pénurie de bateaux et de conteneurs

Selon Rodolphe Saadé, PDG de l’armateur CMA CGM , les volumes transportés entre l’Asie et les Etats-Unis seront en progression en 2020. Malgré les re confinements en Europe, le groupe devrait connaître une année exceptionnelle.

La pandémie de Covid-19 ne faiblit pas et grève la croissance économique. Le fret maritime devrait ainsi subir une baisse de 4,1 % des volumes en 2020, selon une estimation de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), publiée jeudi 12 novembre. Pour les seuls échanges par porte-conteneurs, la chute devrait dépasser les 6 % sur l’ensemble de l’année.

Rien de comparable, cependant, avec l’annus horribilis de 2009, après la crise financière, lorsque CMA CGM avait failli sombrer. « Après un début d’année [2020] difficile, le redressement des volumes a débuté au deuxième trimestre, et la croissance sera soutenue aux troisième et quatrième trimestres, se félicite son PDG, Rodolphe Saadé, dans un entretien au Monde. « C’est très impressionnant sur les liaisons transpacifiques, où les volumes ont d’ores et déjà permis de rattraper la baisse du début de l’année, avec une croissance globale de 1,7 % de janvier à septembre. » En revanche, la hausse de ceux transportés en septembre et octobre sur la route Asie-Europe n’a pas encore permis de compenser le recul constaté à l’orée de 2020.

Le patron du quatrième armateur mondial y voit d’abord l’effet du plan de relance massif de Washington à son économie. « Les Américains consomment beaucoup et achètent l’essentiel de leurs produits en Asie. La Chine reste l’usine du monde, mais on observe une croissance plus forte sur les pays d’Asie du Sud-Est, comme le Vietnam ou la Thaïlande, explique-t-il. Les tensions sino-américaines ont des répercussions sur nos chargements : certains clients, y compris chinois, délocalisent des productions vers ces pays. »

La pandémie a aussi modifié la consommation – « moins de services et davantage de produits achetés sur Internet, pour la maison ou le jardin », un e-commerce qui porte le transport par conteneurs. Sans oublier le « rattrapage » qui a suivi le premier confinement. Cette demande, qui a « surpris la profession », explique que la flotte mondiale soit désormais totalement utilisée. « Il y a pénurie de bateaux, mais aussi de conteneurs, constate Rodolphe Saadé. Aujourd’hui, tout ce qui est disponible est sur les mers. »

« Le commerce est plus difficile qu’il y a dix ans »

Cela permet aux armateurs de relever leurs taux de fret (tarifs), qui ont fortement crû depuis juillet, d’après le cabinet britannique Drewry. Avec cependant une distinction entre les taux sur les routes transpacifiques, qui se sont envolés entre janvier et septembre, et la route sino-européenne, où le taux de fret est resté stable sur neuf mois.

Cette dynamique exceptionnelle peut-elle se poursuivre ? Pour M. Saadé, « l’activité devrait rester soutenue jusqu’au Nouvel An chinois, en février 2021. Cependant, si l’année 2021 s’annonce positive, elle ne devrait pas être aussi exceptionnelle que 2020 ».

Malgré ces perspectives positives, le transport maritime reste particulièrement exposé aux aléas économiques et géopolitiques.

« Entre l’interdiction de travailler dans certains pays et les tarifs douaniers, le commerce est plus difficile qu’il y a dix ans, relève le dirigeant. Il n’y a jamais eu autant de tensions dans le monde. Celles avec la Chine ne diminueront pas. L’élection de Joe Biden [à la présidence des Etats-Unis] n’entraînera pas de profonds changements, même s’il y met plus de formes diplomatiques. » Il faudra « s’y adapter », en ayant « une analyse plus fine de chaque pays » et en renforçant l’approche diplomatique du business.

La crise sanitaire a confirmé la « pertinence » de la stratégie du dirigeant de CMA CGM : devenir un grand de la logistique

Dans ce contexte, la consolidation du secteur du « shipping » n’est plus à l’ordre du jour. En 2018, Rodolphe Saadé avait bien approché l’allemand Hapag-Lloyd en vue d’une fusion, mais il ne croit plus à une « consolidation majeure » entre les mastodontes Maersk, MSC, Cosco, CMA CGM , Hapag-Lloyd ou Evergreen Line, notamment pour des raisons d’antitrust. « Le groupe a atteint une taille suffisante pour avancer seul ou avec ses partenaires (comme le chinois Cosco). Il continuera de se développer avec le marché », annonce-t-il, en adressant une mise en garde à des concurrents trop gourmands : « Je préfère être le chasseur que la proie. »

En revanche, la crise sanitaire a confirmé la « pertinence » de sa stratégie, souligne le fils de Jacques Saadé, le patriarche fondateur de l’empire à Marseille, en 1978, mort en en 2018 : devenir un grand de la logistique. CMA CGM a racheté le suisse Ceva Logistics en 2017-2019, et assure que les résultats de cette filiale, dans le rouge depuis plusieurs années, sont « en nette amélioration ». Le groupe a poursuivi sa diversification en prenant une participation de 30 % d’Air Caraïbes pour se doter de moyens de fret aérien.

Transition énergétique

« Nos clients réclament une offre globale, et on leur propose le transport, l’entreposage et la livraison au dernier kilomètre, détaille-t-il. Nous sommes douzième mondial dans la logistique, il y a de la marge. » M. Saadé souhaite faire grossir cette division : « Nous regarderons des cibles pour nous renforcer », promet-il, alors que le secteur est encore très fragmenté. Des actifs sont déjà sur le marché, comme la filiale européenne d’XPO, l’ex-Norbert Dentressangle.

CMA CGM en a-t-il les moyens, avec une dette de 18 milliards de dollars (15,2 milliards d’euros), dont la moitié au titre de ses locations de navires ? « Par souci de sécurité, on a demandé en mars un prêt garanti par l’Etat de 1 milliard d’euros, répond le PDG. La croissance a été forte et nos résultats, bien meilleurs que prévu. J’ai donc décidé un remboursement anticipé d’environ 700 millions de dollars, dont une partie du prêt de l’Etat. » Par ailleurs, il ne ferme pas la porte à une entrée en Bourse. Ce serait une révolution pour cette multinationale à forte tradition familiale.

L’autre grande affaire du chef de la troisième génération d’entrepreneurs Saadé, c’est la transition énergétique. CMA CGM prendra livraison de 26 porte-conteneurs propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL) d’ici à 2022. « Je me suis engagé, pour les prochaines commandes de grands navires, à ce qu’ils soient tous au GNL, dit-il. C’est aujourd’hui la meilleure énergie pour l’environnement [– 20 % de dioxyde de carbone, – 99 % de particules fines et d’oxyde de soufre] et les coûts. Dans quelques années, on dira peut-être qu’il faut utiliser l’hydrogène. Je ne peux pas attendre dix ans. »

CMA CGM , encore seul à avoir choisi le GNL, « veut structurer la filière ». Le soutage du Jacques-Saadé, premier porte-conteneurs géant alimenté au gaz liquéfié, a eu lieu le 12 novembre, à Rotterdam. « C’est dans le port néerlandais que seront ravitaillés les 9 navires de 23 000 conteneurs des lignes Asie-Nord Europe, annonce-t-il. Et à Fos-Marseille que les bateaux de 15 000 conteneurs des lignes Asie-Méditerranée le seront à partir de fin 2021. » « Tout ce qu’on peut faire pour la planète, il faut le faire », conclut Rodolphe Saadé, qui a promis un groupe « neutre en carbone en 2050. »